A bien y réfléchir, je ne connais pas de plaisir plus simple, plus primaire que de présider au miracle du pain, car c'en est un. Je m'affaire alors dans la solitude de ma cuisine à pétrir, le bonheur à pleines mains, cette farine à laquelle, j'ajoute le levain que je nourris avec bienveillance , le sel et l'eau afin de donner corps à une pâte dont je suis, inquiète et émerveillée, le gonflement avant de la briser pour mieux la reprendre et lui donner la forme voulue. Il y a quelque chose de rustique, d'archaïque, d’éminemment simple, de cette simplicité qui est le sel même de la vie dans ces gestes à pétrir cette pâte, à la sentir résister sous mes doigts, à la bousculer, à la rudoyer, à la tutoyer jusqu'à ce que peu à peu, elle cède, se plie à mes quatre volontés et me présente le beau et rond visage d'une boule à laquelle j'accorderai le temps nécessaire de repos afin qu'elle reprenne ses esprits et donne la pleine mesure de sa magnificence.

 Puis,vint le plaisir de la glisser dans le four, la voir se colorer, brunir, sentir cette odeur qui me monte à la tête et qui a des parfums d'enfance, de petit matin, de célébration de la vie, la regarder s'épanouir, prendre ses aises, s'allonger, grossir avant de la sortir et de la déposer sur une grille en un recoin de la cuisine pour mieux l'admirer comme une œuvre d'art dont je suis l'unique créatrice. 

Il y a comme un parfum biblique dans cet acte d'assembler farine et eau, une sorte de rituel millénaire qui me fait entrer plus en avant dans la communauté des êtres humains, un retour à la vie d'autrefois et qui me donne la satisfaction d'un besoin ancré dans le cœur de l'humanité depuis presque toujours.

Quand on y pense, cet aliment, si simple mais tellement fondamental, allie les quatre éléments :

la terre à travers le blé, l'eau, l'air sous la forme des bulles issues de la fermentation , le feu via la cuisson.

Et tant pis ou alors tant mieux si mon pain sorti du four a une drôle de gueule, si sa croûte est trop cuite ou pas assez, s'il n'a pas le goût exact du pain de campagne traditionnel de la boulangerie mais c'est mon pain et je prends pleinement conscience qu'au tout début, il n'y avait sur ma planche en bois que de la simple farine, un misérable verre d'eau, un peu de sel, du levain, cette matière vivante et ancestrale qui ensemence le mélange pour le faire lever.

C'est ainsi que naîtra un pain qui a le goût même de la terre, de la naissance de l'univers, du miracle sans cesse recommencé de la vie.